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Par mewichigo le 24 Juillet 2024 à 19:37
Je cherche à archiver mes nouvelles quelque part. Comme c'est de la SF, très Looper-esque, je vous laisse ça ici en attente de mieux heheh
Il était quatorze heures et Adam n'avait toujours pas mangé. Travail, bouchons, poursuites dans les bas-fonds saturés d'urine et de verre cassé. Ce matin, le ciel s'était enfin dégagé après des jours de pluie, et Adam avait poussé l'accélérateur pour rejoindre l'autoroute aérienne qui montait en pente droite jusqu'aux quartiers les plus blancs, les plus lisses, découpés dans le gris clair du mois de janvier. Là-haut, les balcons de verre étaient ornés de feuilles tropicales, et il y avait des restaurants chinois, où l'on s'habillait en brillant pour déguster du canard à 14€ la tranche. Il aurait bien voulu y goûter, brandir son insigne officielle en prétexte pour manger gratuit, mais il n'y avait déjà plus de temps. Deux anomalies avaient été repérées dans l'arrière-cour d'une résidence secondaire. Là, il devait éliminer les deux êtres bleu translucides, un vieillard, son petit-fils, qui se pavanaient au bord du jardin leurs jambes se balançant dans le vide. Les anomalies sont comme des bulles d'air – une balle ordinaire les transpercerait sans les affecter, mais un ultrason correct les faisait éclater dans un souffle de vent.
Adam nettoya le sang doré des créatures tombé dans les mauvaises herbes. N'ayant ni les moyens ni l'énergie de s'offrir un canard chinois, il retourna à son auto.
- Allô, Adam ? fit alors la voix de son chef dans l'autoradio. L'affaire A314 est réglée ?
- Yes, confirma celui-ci, je rentre maintenant. Autre chose ?
- Mhm... (l'interlocuteur hésita, peut-être par sollicitude pour sa pause déjeuner, mais il reprit :) Oui. C'est un cas sérieux, une anomalie repérée en plein centre-ville.
- Au centre-ville ?
Le brigadier fronça les sourcils. Depuis quatre ans qu'il faisait ce métier, il n'avait jamais vu d'anomalie dans un endroit aussi peuplé. Qu'est-ce qu'il lui prenait ?
- Je peux y aller, décida-t-il. Tu m'envoies les coordonnées ?
- Tout de suite.
Ignorant sa faim, Adam poussa une fois de plus sur l'accélérateur. À mesure qu'il descendait sous l'épaisse couche de pollution, il vit les rues se colorer, les panneaux publicitaires s'agiter et la foule de voiture se presser de part et d'autre de son véhicule prioritaire, toujours avec cet aspect de jungle urbaine, les plantes étouffant les immeubles. Son cœur avait accéléré. À ce rythme, l'anomalie pouvait déclencher une catastrophe d'une seconde à l'autre.
Au milieu d'un carrefour où l'on était coincé bêtement autour d'une fontaine, il la vit. C'était une jeune femme au corps élancé, à la peau rose translucide, parcourue de tâches plus sombres, qui ondulaient en elle comme les bulles d'une lampe à lave. Elle avait des yeux en amande, des cheveux fins et mi-longs de la même couleur que les tâches sur sa peau ; et s'était vêtue comme une humaine, avec un gilet universitaire et un short en jean clair. Légère, elle sautait d'une voiture à l'autre sans qu'on la sente passer, puis s'envolait jusqu'au sommet de la fontaine, glissant ses doigts dans les jets d'eau, riant de la façon dont cette matière venait à gicler dans tous les sens et arroser ses cheveux.
Dès qu'il sortit, armé, de sa voiture, Adam la reconnut. C'était Lilith.
- Vous êtes en état d'arrestation, déclara Adam d'une voix forte.
Elle tourna la tête vers lui, surprise. Quelque part, au fond, il savait pourquoi il avait prononcé ces mots au lieu de tirer avant qu'elle s'en aperçoive. L'anomalie prit la fuite.
Laissant son véhicule au milieu du bouchon, Adam partit à sa poursuite. Les immeubles étaient lourds et noirs ; elle rebondissait sur les gouttières et les lianes pour s'envoler toujours plus loin. Il la coursait, slalomant comme il pouvait entre les voitures, s'accrochant aux racines pour grimper sur les plateaux, s'essoufflant déjà, mais sans cesser de bondir d'immeuble en immeuble. Le bras tremblant, il essaya tant bien que mal de la viser en courant. Il ne tira pas.
L'anomalie était parvenue à une impasse. Une passerelle en cul-de-sac entre deux immeubles, trop hauts pour les dépasser par le sommet et trop serrés pour les contourner. Son corps rose contrastait avec le vert des arbres, alors qu'elle faisait des aller-retours paniqués au milieu des bananiers humides. Adam ralentit. Quand il sortit de l'ombre, et qu'elle le vit tout proche, toujours l'arme à la main, elle entrouvrit la bouche, sans pouvoir parler. Adam lutta avec lui-même, intérieurement, et puis il reconnut son échec. Il posa son arme.
- Lilith, dit-il d'une voix douce. Je... je m'appelle Adam. Est-ce qu'on peut parler ?
*
- Je te reconnais, dit l'anomalie après un silence qui lui parut interminable.
Elle avait calmé son souffle et s'était approchée, le regardant sous toutes ses coutures avec les yeux écarquillés d'un enfant. Adam était particulièrement gêné par cette situation, mais il se laissa faire. À la fin de son inspection, l'anomalie fit un pas en arrière, mit les mains sur ses hanches et proclama la conclusion à laquelle il était lui-même parvenu :
- Tu es mon frère, n'est-ce pas ?
Il hocha la tête doucement.
On lui avait dit que c'était impossible. Statistiquement, du moins. Qu'il ne rencontrerait jamais son double, alors il pourrait continuer à massacrer ceux des autres sans mauvais sang. Il avait choisi ce département parce qu'il voulait une promotion, d'accord ; mais surtout parce qu'il était convaincu de faire le bien. Car depuis qu'elles s'étaient infiltrées, par une fente incompréhensible de l'espace-temps, ces anomalies venues d'un autre dimension – où les hommes n'étaient pas des hommes mais où tout semblait si étrangement semblable – mettaient le désordre dans leur monde. Elles s'infiltraient dans les maisons pour remplacer les fantômes. Elles rencontraient leur double, et, par un malheureux hasard, celui-ci mourait quelques semaines plus tard de maladies cardiaques. Pourtant, Lilith lui ressemblait. Elle avait, comme lui, un nez arrondi ; des yeux un peu hagards, papillonnant à la poursuite de mondes invisibles.
Sans prévenir, elle attrapa le bras d'Adam d'une main si légère qu'on eût dit de la mousse, et le tira dans les airs où il perdit l'équilibre. Ils trouvèrent une issue au cul-de-sac, naviguèrent jusqu'à la ville haute, et se posèrent au bord d'un terrain vague tout semblable à celui où Adam chassait ce matin même. Celui-ci laissa le vent cinglant soulever le bas de son pantalon, crispé, ne sachant quoi dire.
- C'est joli, hein ? dit la fausse Lilith, pour briser le silence.
Elle lui lança un sourire plein d'espoir. Oui, c'était joli – mais Adam avait le tournis.
- C'est vrai.
- Je voulais voir la ville basse, poursuivit-elle, d'un air précipité. Au moins une fois. Écouter les voitures s'irriter au milieu du chaos, sentir les grillades, grimper votre architecture.
Adam hésita.
- Ça doit être dur... d'être loin de chez vous.
- Oh, ça oui. (L'anomalie haussa les épaules). Mais c'est pas ça qu'est grave.
Elle n'ajouta rien, soucieuse sûrement de ne pas s'aventurer plus loin sur ce terrain glissant. Adam la regardait – c'était fou ce qu'elle ressemblait à sa sœur, et pourtant, elle ne pourrait être plus différente. Lilith avait des cheveux noirs embrouillés dans une pince ; sa peau était livide parce qu'elle ne sortait presque plus, sauf pour manger un burger dans la chaîne au coin de la rue sans prononcer une parole. Ses yeux étaient cernés, sa voix, quand elle l'ouvrait, ne déversait que des reproches. Elle se levait à cinq heures et se couchait à deux, travaillant jour et nuit sur sa tablette, comme graphiste indépendante pour des publicitaires anonymes. Adam avait parfois l'impression de vivre avec un cadavre. Mais il savait ce qu'elle vivait, il savait le désordre de sa tête, il savait combien elle était fière quand elle avait eu le courage de sortir. Il ne lui en voulait pas. Mais ses entrailles se nouaient quand il rentrait le soir et qu'ils criaient l'un sur l'autre à en faire trembler les murs. Il voulait s'occuper d'elle, et en même temps, il ne supportait plus cette situation. Il s'était mis à faire des heures sup', à rédiger des rapports sans queue ni tête juste pour retarder le moment de la retrouver. Elle disait qu'elle allait mieux, elle se remettait sur pied, et puis la souffrance la reprenait de plein fouet. Ça ne passait pas.
Lilith-la-rose avait l'air de s'ennuyer. Adam se sentit stupide, mais il osa poser la question qui le turlupinait depuis une heure.
- Est-ce que... est-ce que tu pourrais lui réapprendre à être heureuse ?
Elle leva sur lui un regard interrogateur.
- Heureuse ? Je suis heureuse, moi ?
Perturbé, Adam hésita. Quelque part, rejetée par ce monde qui n'était pas le sien, Lilith l'anomalie rayonnait d'une liberté fugitive, et d'une vraie joie de vivre. Adam aurait tout donné pour pouvoir, un soir, regarder simplement la ville avec sa sœur à ses côtés. Cette Lilith-là, peut-être parce qu'elle n'était pas humaine, devait avoir beaucoup à leur apprendre. Mais :
- Merci, dit-elle d'une voix cassée. Tu m'as beaucoup manqué.
Adam écarquilla les yeux, sans comprendre. Alors elle explicita, d'une voix forcée :
- Mon frère est mort, depuis quatre ans. Éliminé par la Brigade.
- Ah. Je... (Adam bredouilla). Je suis désolé.
- Oh, tu n'as pas à l'être, répliqua Lilith d'un air détaché (et elle se leva brusquement, lui tournant le dos comme l'aurait fait sa sœur). C'était sa décision. Il s'est jeté sur un brigadier à découvert, clamant qu'il exigeait justice pour les anomalies. Orgueil à la noix.
Adam grimaça, comme la remarque lui avait fait l'effet d'une flèche à la poitrine. Il comprenait son frère.
- Va, retrouve-la, ajouta l'anomalie, en lui jetant un regard sévère. Ta sœur est encore vivante, non ? C'est avec elle que tu devrais être, pas avec moi.
- Mais... tu...
Adam n'insista pas. Il se releva doucement, balançant du gravier dans le précipice. Il remercia Lilith, qui cachait ses larmes en gardant la tête rivée sur le paysage. Et il s'en alla.
*
- J'ai rencontré quelqu'un ! annonça-t-il en rentrant, le soir-même, pour briser le silence.
Lilith leva les yeux de son ordinateur – sans daigner hausser un sourcil.
- Ah bon ? fit-elle. Une jolie fille ?
- Une fille formidable, confirma-t-il.
Il lui fit un sourire espiègle, et, gardant le suspense, enfila un tablier pour préparer le repas du soir. Ce n'était pas vraiment son genre – à une époque, il avait cuisiné des quiches, et laissé mijoter des ragoûts pendant des heures, pour régaler sa famille ; mais c'était bien avant la Brigade, la fatigue, la ville, tout ça. Il se dit pourtant qu'il ne devait pas être si rouillé – alors il arracha les sacs des courses qu'il venait de faire, se mit à découper une carotte, un oignon, une pomme. Il laissa le tout réchauffer dans une poêle avec une sauce curry.
Lilith laissa tomber son ordinateur sur le rebord du canapé, et avança sa tête, intriguée par l'odeur. Ils savaient l'un comme l'autre que ce n'était qu'une mascarade – un pansement sur une plaie ouverte que l'on n'avait même pas désinfectée. Pourtant, elle lui fit un sourire en coin.
Plus la consigne était simple, plus elle était difficile à démanteler. Reste chez toi, débrouille-toi, rends-moi ce visuel pour demain matin. Tue les anomalies que tu rencontres. Pourtant, ce soir-là, Adam était déterminé à changer, et il voulait croire que Lilith aussi. Plus tard, il arrêterait d'aller au travail, comme un lâche qui rêve d'une vie moins stupide. Il retournerait voir Lilith-la-rose, pour construire avec elle une sépulture correcte à l'autre Adam, et parler dans les terrains vagues au milieu des bulles de rosée. Pour sa sœur, pour lui-même, il considéra qu'il n'y avait rien de mieux à faire – que de faire de son mieux.
Ce soir-là, Adam, quand même rouillé, s'affaira une bonne heure entre les légumes et le riz, qu'il parfuma autant que possible pour qu'il ait un goût d'inoubliable. Quand il eut fini, il apporta le repas dans un plateau à sa sœur sur le rebord du canapé, comme à une reine.
- Merci, lui dit-elle. Heureusement que je peux compter sur toi, hein.
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Par mewichigo le 9 Avril 2024 à 01:35
Il y a quelque chose avec le fait d'être chez ma belle-mère, sur ce McBook Air, qui me donne envie de rouvrir Eklablog
Depuis quelques semaines, j'ai commencé à regarder la série séquel de Mobile suit Gundam, Gundam Z. Sortie en 1985, c'est la première série qui prolonge l'univers de Mobile suit Gundam (1979), qui avait déjà été enrichi par plusieurs films et OAV. Pour ma part, après avoir regardé 6 films de la licence (les trois premiers MSG ; Cucuruz Doan's Island ; Char contre-attaque et L'Eclat de Hathaway), j'ai bien senti que j'étais à un point de non-retour et qu'il me fallait maintenant me lancer dans le chantier gargantuesque (plus effrayant que One Piece, j'en ai peur) des séries. Un moyen de m'investir tranquillement, et de m'émerveiller toujours plus devant le charme et l'intelligence de cet univers.
1. Univers restreint
Dès la première série, Gundam s'est illustré dans le genre des "real robots" ou mecha réaliste. Ça implique beaucoup de choses, à commencer par une réduction drastique de l'univers : pas d'alien venu d'une planète lointaine pour protéger la Terre à la manière de Superman ou d'Actarus dans Goldorak ; pas de Fédération intergalactique monumentale où l'on se battrait contre un ennemi suprême (à la Star Wars). Pourtant, le schéma est bien le même ! Nous avons droit à une Fédération Terrienne qui dirige un certain nombre de colonies, et une rébellion qui s'oppose à cet impérialisme. Sauf que, contrairement à Star Wars, nous ne sommes pas du côté noble et glorieux de la rébellion, mais bien de celui de la Fédération... mais nous y reviendrons plus tard. Cette Fédération terrienne a en réalité établi son pouvoir ni sur des planètes ni sur des galaxies (!), mais sur des colonies fabriquées par les hommes, sortes de satellites artificiels accompagnant la Lune, habitée elle aussi. De fait, le conflit qui oppose les partisans de Zeon (Spacenoïdes indépendentistes ayant formé leur propre Etat avec un certain impérialisme) et la Fédération terrienne a pour enjeu la Terre, et la Terre est à la fois marginalisée (car elle n'est qu'un territoire de plus pour Zeon) et mise au centre des combats de la série. Ainsi, certes, on est dans du space opera, mais un space opéra qui a gardé un pied solidement ancré sur Terre, et il est assez étonnant, je trouve, de voir que la plupart des affrontements du second film ont lieu dans des pays nommés comme aujourd'hui, en Russie, en Europe, en Amérique latine ou en Antarctique (entre autres).
Qui dit real robots, dit surtout real humans : il est étonnant de remarquer que Gundam, la série merchandizing par excellence (rappelons ici ma visite du Gundam base à Odaiba, un immense magasin de figurines avec son propre espace d'exposition et ses écrans géants ;)), bref la série des Gunpla, des robots à construire et à jouer - est aussi celle qui rappelle le plus vivement que la guerre n'est pas un jeu. Mais bref (cela recoupe mon précédent article sur la question, donc j'y renvois les curieux-), les personnages principaux ont bien (dans MSG, c'est aussi le cas dans Zeta) 14 ans, série pour adolescents oblige (?), mais on trouve quelques justifications au fait qu'ils soient pilotes à leur jeune âge, sans pour autant le dédramatiser. Dans Gundam, les personnages engagés sont avant tout des réfugiés, et Zeon est choqué d'apprendre qu'ils se battent contre des gamins (un gamin en particulier-). On apprend dans Zeta qu'Amuro a été protégé par la Fédération après ces événements, qu'il a pu se reclure dans une villa (sur Terre) et disparaître des radars, justement parce qu'il n'était pas majeur (bon, là où j'en suis, il doit avoir 23 ans... mais je pense que le traumatisme de la guerre le pousse à ne pas remonter sur un Mobile Suit Tout de suite, même si je sais qu'il le fera).
Qui dit real robots, dit donc que ce sont des humains qui affrontent des humains, et que c'est les vices des hommes mais surtout de la guerre (qui est en partie politique) qui vont être le ressort tragique du récit.
2. Newtypes
Oui oui, soyons honnêtes, j'aime ce gars
Une autre chose que j'aime beaucoup dans Gundam, c'est son usage des ressorts de la science-fiction en tant que telle : dans cet univers, tout n'est pas complètement réaliste, car certains personnages ont des capacités qui dépassent l'entendement, des "dons" que l'on peine à définir mais qui les rendent nettement supérieurs aux autres - ces personnages sont les Newtypes. Une règle semble se dessiner sur les quelques médias que j'ai vus, alors je dirais que cela concerne globalement les protagonistes : Amuro, Kamille, Quess (je ne suis pas sûre pour Hathaway). Mais voilà : on ne sait pas trop. Les Newtypes, parce qu'ils sont nés dans l'espace au bout d'un certain nombre de générations, réfléchissent plus vite, ont une intuition formidable et une certaine aisance au pilotage. Au meilleur de leurs capacités, ils développent de la télépathie, peuvent visualiser des personnes lointaines et leur parler (ils ont aussi un certain don pour repérer les autres Newtypes) ; et ces capacités leur permettent de développer une technologie kinesthésique dans Char contre-attaque (des missiles de défense qui réagissent à leurs ressentis). Pourtant, les Newtypes eux-mêmes ne sont pas certains d'appartenir à cette catégorie, et ce sont les autres qui généralement les traitent de "Newtype" (ce que les personnages en question prennent un peu mal, même s'ils en jouent). Ce qui fait qu'on n'est pas forcément certain de qui est Newtype et qui ne l'est pas, ni de comment fonctionnent ces pouvoirs - on est encore loin du shonen typique aux règles bien précises, e cette indétermination est un moyen très intelligent de donner corps à cet élément sunaturel.
Newtype, au fond, ce n'est peut-être qu'un diagnostic de plus - Kamille a d'ailleurs affirmé être autiste dans un des épisodes du début de Zeta Gundam, ce qui correspond tout à fait à sa personnalité un peu bornée (entre autres) - et je suis curieuse de voir de la représentation de ce côté-là. Mais être Newtype le rend déjà, d'une certaine façon, neuroatypique
3. Zeon ou la Terre, peu importe au fond
Gundam c'est une galaxie de série, une galerie de personnages qui se battent dans un camp ou dans l'autre, ou dans un autre encore : Zeon contre la Fédération, c'est le premier duo que l'on oppose, mais il y a bien plus - AEUG, les Titans, l'organisation terroriste d'Hathaway Noa (j'ai oublié son terme technique) - et il m'en reste encore de nombreux à découvrir. A cela s'ajoutent les territoires neutres, soit parce qu'ils ont déclaré qu'ils ne participaient pas à la guerre, soit parce que les organismes internationaux ont décidé que ces lieux devaient être préservés (d'ailleurs, l'AEUG, dans Zeta Gundam, hésite à attaquer la Terre car cela reviendrait à la polluer). Mais les gens, comme les territoires, reviennent d'une série à l'autre : loin d'être séparées les unes des autres, les séries s'entremêlent pour compléter ensemble un calendrier riche. En tant que spectateur, on est placé dans un camp puis dans l'autre, indifféremment : d'abord dans la Fédération (où l'on nous apprend que Zéon est totalitariste), puis chez l'AEUG, qui combat l'union terrienne. Un personnage central de la première série, Bright Noa, vient (à l'épisode où j'en suis, ~10 de Zeta Gundam) de quitter la Fédération pour l'AEUG... et ainsi de suite.
Évidemment, tout converge pour dire la vanité de la guerre, mais il m'est avis que ces multiples séries (quoi qu'il y en aie des centaines, c'est peut-être un peu trop) sont nécessaire, ne serait-ce que pour refléter la complexité politique du monde et des conflits en question. Elles laissent le temps de comprendre comment on peut diaboliser le parti opposé ; àtord ou à raison, et de comment un parti vainqueur (la Fédération dans la première saga) peut abuser de son pouvoir.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce thème - mais je me dépêche pour finir avant 1h33. Pour finir, j'aimerais rappeler encore une fois mon admiration devant la création de cet univers (dont le créateur a été récompensé en même temps que Rumiko Takahashi pour sa carrière uwu), et sa richesse. Je tiens sans cesse à rappeler que les mechas ce sont des robots, mais c'est souvent bien plus que des robots - la vanité de la guerre, la dureté de la psyché et des traumas sont bien souvent au rendez-vous. Et c'est un vaste univers à explorer, ça me plaît. (il est 1h34)
Au plaisir,
Isis
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Par mewichigo le 4 Mai 2022 à 16:16
Regardez comme ils sont adorables, j'ai rarement été aussi enthousiaste pour une série que je n'ai pas vue
Très bien, il est temps de se pencher sur la plus grande licence de l'animation japonaise, premier anime moderne et lancement du studio Sunrise - j'ai nommé Gundam, bien sûr. Depuis que j'ai vu les deux premiers films de Mobile Suit Gundam il y a quelques mois, et le dernier il y a quelques semaines, je trépigne d'envie de vous parler de cette série à laquelle j'ai immédiatement sincèrement accroché, et qui est l'une de mes principales inspirations du moment.
Mais s'attaquer à Gundam c'est s'attaquer à un monstre : sans même parler des dizaines de films et de séries dérivées auxquels elle a donné lieu (Zeta Gundam, Gundam ZZ, Char contre-attaque rien que pour le premier récit ; et puis Gundam Wing, Seed, École du ciel et tous les autres), la série originale, créée par Yoshiyuki Tomino en 1979, fourmille déjà d'idées, de personnages, d'histoires parallèles qui méritent qu'on les raconte. J'aimerais vous dire à quel point les univers graphiques sont intéressants, le scénario ingénieux, le genre mecha tordu pour en faire une exploration des travers de l'humanité. Mais, d'abord, je vais me concentrer sur son aspect essentiel : la peinture de la guerre, et de sa vanité.
[Disclamer : J'ai regardé les deux premiers MSG en Janvier-Février, à une époque où l'offensive russe de 2022 en Ukraine n'avait pas encore commencé, et la guerre n'était pas omniprésente dans nos médias européens. Aujourd'hui, c'est un sujet qui peut être triggering ; ou au contraire, on pourrait s'étonner que je l'aborde avec distance, mais sachez que je ne l'oublie pas. Les fictions nous offrent une foule de réflexions sur le manichéisme et la violence de la guerre, et c'est important, mais elles sont surtout là pour nous rappeler que c'est réel.]
introduction
En l'an 0079 du Calendrier Universel, alors que l'humanité a massivement émergé sur des colonies spatiales, le Duché de Zeon, une colonie de 150 millions d'habitants, décide de déclarer son indépendance vis-à-vis de la Fédération. Une violente guerre s'ensuit dans laquelle périt la moitié de l'humanité. Puis le conflit s'enlise quelques mois, durant lesquels la Fédération développe le projet -V- : pour contrer les Mobile Suit de Zeon, ils font construire une nouvelle arme particulièrement puissante, le Mobile Suit Gundam.
A l'époque, Amuro Ray, fils de l'ingénieur en chef sur le projet -V-, vit presque seul sur Side-7 : son père est occupé dans l'armée et sa mère habite encore sur Terre. Mais le statut quo est brisé lorsque le colonel Char Aznable découvre le projet de la Fédération, et décide d'attaquer Side-7, où le Gundam est en construction. Selon les lois de la guerre, un conflit sur un terrain civil est impossible, mais il a lieu tout de même sans que tout le monde puisse s'abriter, et des dizaines d'habitants de Side-7 périssent. Amuro, qui avait quitté son abri, décide alors de ne pas rester sans rien faire : il saute dans le prototype du Gundam et, le manœuvrant comme il peut, finit par exterminer ses ennemis, et récupérer des rescapés qu'il fait monter dans le White Base, vaisseau de la Fédération. De nombreux civils sont alors engagés comme militaires, dont Amuro, qui devient pilote attitré du Gundam.
"Les temps sont durs, dites donc, quand on en vient à
recruter des enfants de 14 ans comme soldats"
Une phrase de cet ordre peut faire sourire - c'est la seule justification qu'ils ont trouvée pour avoir des ados de 14 ans comme pilotes de robots géants, se dit-on. Pas mieux que le "Vous êtes les seuls capables de vous synchroniser à l'Eva" d'Evangelion... Mais dire cela, ce serait mal comprendre l'esprit de Gundam. Oui, les temps sont durs - l'armée a perdu tellement d'hommes qu'elle est prête à recruter les premiers civils pour s'engager, risquer leurs vies aux-côtés de la Fédération. Même du côté de Zeon, les combattants sont adultes, et sont choqués de découvrir qu'en face, il y a des enfants. La série insiste largement là-dessus, notamment avec Kai, qui cherche plusieurs fois à quitter le navire. Gundam, c'est avant tout le quotidien sur un vaisseau de guerre, et l'humanité des personnages est omniprésente.
"Oui, je les ai tués. C'est la guerre, maman."
On entre dans une partie un peu plus spoiler - mais je pense que cette scène vaut le coup d'être soulevée. Dans le premier film, Amuro doit composer avec son estime de lui-même mais aussi sa haine des combats. Il est persuadé que le Gundam ne peut être piloté que par lui, il a une forme d'héroïsme latent, mais en même temps, il jure de ne plus jamais monter là-dedans (et c'est là qu'on reconnaît le parrain de Shinji...) Lorsqu'il retrouve sa mère, qui travaille dans un centre de rescapés, elle est très déçue de découvrir que son fils est soldat. Elle ne le prend pas en pitié : elle s'énerve contre lui, parce qu'il soutient la guerre, parce qu'il tue, parce que son comportement est inhumain. Amuro est bien conscient de ça : il ne la laisse pas parler et réplique immédiatement qu'il n'a pas le choix. En somme, il demande à sa mère de revenir à la réalité, parce qu'il faut bien qu'il y en aie qui combattent. Mais, même s'il réussit à lui dire ça, la remarque de sa mère le blesse profondément, il a peur qu'elle ne l'aime plus - il a peur de perdre un soutien parental qui lui manque déjà profondément. Finalement, Amuro doit réagir à une attaque : comme souvent dans les films MSG, la scène ne dure que quelques instants, mais elle suggère bien plus.
"Je le fais pour ma famille"
Dans le deuxième film, on rencontre Miharu, espionne pour le camp de Zeon. Depuis la Terre, elle informe des mouvements de la Fédération, ce qui lui permet de gagner assez d'argent pour nourrir son frère et sa sœur. On retrouvera plusieurs variantes de cette phrase à d'autres moments de l'histoire : "Je me bats par amour pour toi", "J'ai enfin trouvé quelqu'un à protéger" (reconnaissez la référence qui n'est pas Gundam...), mais aussi "J'aimais ma femme, mais j'aime aussi mon pays", ou encore "Tu te bats alors que tu n'as personne à protéger ?"... Parce qu'au fond, à quoi bon ? Peu importe le camp dans lequel on est, peu importent les gens pour qui on se bat, la guerre reste la guerre, avec sa vanité terrible - qui mène au meurtre mais aussi à la mort. Et pourtant, oui, il faut bien que cela aie un sens - il faut bien avoir des gens à protéger. Où poser la limite de nos valeurs ?
"Tu sais, eux aussi, ils nous bombardent pour avoir leur paye"
Voilà certainement ma citation préférée de Gundam. Imaginez la base de Jaburo, au fond d'une jungle, où la Fédération a rassemblé une partie de ses armées pour des tests et des entraînements. Cette base est bombardée chaque jour par le camp de Zeon, mais ce sont généralement des attaques "sans danger". Depuis une tour de contrôle, deux hommes signalent "le bombardement habituel", qui ne fait pas sourciller l'armée plus que ça. L'un demande alors à l'autre qu'est-ce qu'ils font là, bloqués au fond de cette jungle, à faire ce travail inutile. L'autre officier lui répond ceci. Finalement, dans un camp comme dans l'autre, les soldats veulent juste leur paye - non pas par sadisme, mais parce que c'est leur métier, parce que c'est ainsi que la vie fonctionne. Au milieu, comme monnaie d'échange, il y a des vies humaines.
"Regarde, voilà la guerre, mais c'est plus sale qu'à la TV"
Un grand combat du troisième film est retransmis en direct à la TV. On peut donc voir Tem Ray, Char, Lalah, et bien d'autres personnages, regarder les combats retransmis en commentant l'agilité des manœuvres, en s'énervant qu'on ne voit pas le Gundam, en criant des encouragements comme devant un match de foot. Char, qui pour une fois n'est pas au combat, glisse donc cette légère phrase qui a tellement de valeur quand on regarde un anime. Non seulement c'est un regard sur la médiatisation de la guerre (et parfois, une forme de curiosité malsaine qu'elle peut encourager - ou du moins des incompréhensions de ce qu'il se passe réellement) ; mais c'est aussi nous rappeler que, aussi acerbe qu'il soit sur la guerre, Gundam reste un anime. Evangelion le fera aussi, mais d'un point de vue plus existentiel - il rappelle aux fans de ne pas se perdre dans des mondes imaginaires, et de se tourner vers ce qu'il y a de plus important, leur santé mentale, leur vie, et les autres. Du côté de Gundam, c'est surtout une précision nécessaire à la justesse du message - l'héroïsme des mecha est paradoxal, il brode sur une réalité bien plus sordide - et surtout irreprésentable.
- Conclusion
Il est temps que je boucle cet article, alors je voudrais juste ajouter qu'il y a tant d'autres scènes ingénieuses dans l'anime : des rencontres de camps opposés, sur des terrains neutres, alors qu'ils ne se connaissent pas. L'anorexie d'Amuro et de son père, qui perdent leur intégrité sans s'en rendre compte. Et puis le plaisir que j'ai eu en général à pratiquer cette série entre science-fiction, récit du quotidien et citypop. La fin était, pour moi, assez décevante, parce qu'il y a soudain une simplification des deux camps et de leurs raisons morales, et encore plus surprenant, une armistice héroïque. Mais ce n'est pas fini, il me reste Char contre-attaque, et les autres. A très bientôt donc !
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Par mewichigo le 21 Avril 2022 à 12:25
Cosmos, Yuji Ohno [1981]
Soyons honnêtes. Si j'ai annoncé un retour sur ce blog, c'est d'abord, et avant tout, parce que j'avais envie de vous parler de musique. De jazz fusion des années 1980 avec des intertextes SF, plus précisément. Ça se complique. Mais rassurez-vous - j'ai des tas d'albums à vous conseiller, et tout cela est formidable, vous verrez.
Commençons avec un album absolument incontournable - autant pour moi que pour le jazz fusion en général, je dirais - et tout à fait accordé au thème de ce blog. Ne vous fiez pas à la bio très laconique de Yuji Ohno sur Wikipédia français, cet homme a une carrière extraordinaire et est sans conteste un génie musical. Compositeur de la grande majorité de la licence Lupin III, il a produit pour celle-ci un jazz enjoué et pop, appuyé par un grand orchestre (You & Explosion Band) à la musicalité certaine. On citera Lupin III Part IV : More Italiano, Cafe relaxing Lupin ou encore Lupin the Third 「JAZZ」 Christmas, pour avoir une idée du nombre de compilations plus ou moins liées à Lupin qui ont simplement pour but le plaisir de la musique. Enfin, rappelons-nous de Lupin III : Le Château de Cagliostro ; composé de son génie habituel, la mélancolie Miyazakienne en plus (> Lone Wolf <).
Cosmos est le premier album original de Yuji Ohno que j'ai découvert. Comme son nom, et sa jolie jaquette ornementée de Jupiter nous l'indiquent, il propose un voyage à travers la galaxie, avec la douceur que le jazz fusion peut produire (> Crystal Lullaby <). Si je m'y connaissais en musicologie, j'évoquerais un peu les instruments utilisés, mais la vérité c'est que je ne sais pas, ou du moins j'ai du mal à en parler (ça va changer avant la fin de cette rubrique, promis -). Toujours est-il que Yuji nous transporte dans l'espace avec toute la chaleur de la musique orchestrale. C'est tout le contraire d'un artiste du type Jean-Michel Jarre, qui mise sur les sons électroniques pour nous sortir de tout ce qu'on a l'habitude d'entendre "sur Terre". L'électronique, c'est la musique de l'espace. C'est acté depuis les années 70.
Et pourtant. Avec Captain Future, en 1979, Yuji Ohno avait déjà brisé les codes. Captain Future - dont je parlerais sûrement dans un autre article de cette rubrique, c'est un très bel album -, c'est le jazz de l'espace. Yoko Kanno le fera aussi, bien plus tard avec Cowboy Bebop, qui utilise non seulement le jazz, mais aussi le rock et le hip-hop. Bref, la SF est riche d'un nombre fou d'intersections musicales, qui prennent un sens différent quand on les mélange.
Cosmos, c'est ça. Du jazz fusion, entre airs cristallins et air pop accompagnés de chœurs enjouées (> Saturn Pierrot in the Heaven <). Mais c'est aussi - et vous vous en êtes sûrement déjà rendus compte si vous avez écouté le titre que j'ai partagé en vidéo miniature, et qui donne son titre à l'article - des synthétiseurs !
"Over the Galaxy" utilise les mêmes sons que Jean-Michel Jarre (qu'on entend, par exemple, dans Oxygène et Equinoxe). Le début du morceau ressemble tellement à du Jarre que j'ai d'abord cru que c'était un hommage. Les dates concordent, pourtant je ne suis pas si sûre qu'on puisse toujours, et sans conteste, conclure à une influence de l'Occident sur l'Orient.
Yuji Ohno produit une musique planante, riche et orchestrale, une musique qui n'hésite pas à mêler son jazz à la profondeur du synthétiseur. Une musique qui m'émeut tant elle est belle et qui reste un de mes albums préférés, plus d'un an après l'avoir découvert et déjà écouté en boucle. Surtout, il m'a ouvert à un univers musical formidable. -Stay tuned !
Isis, qui a perdu deux heures de travail effectif pour écrire cet article et le précédent
2 commentaires -
Par mewichigo le 27 Février 2018 à 21:33
Quoi de mieux pour relancer cette rubrique et dynamiser un peu ce blog que de de vous parler de cette série électrisante et perturbante, riche, hypnotisante, et profonde qu'est Black Mirror ? Cette série télévisée Brittanique, créée par Charlie Brooker et produite par la BBC, puis par Netflix, a défrayé la chronique. Avec quatre saisons à son actif, elle reprend le motif de la science-fiction pour son but initial : questionner l'homme et son avenir.
Vous l'aurez compris, cette série parle des nouvelles technologies : vous y trouverez donc robots, puces de mémoire, réalités virtuelles, simulation informatique, réseaux sociaux, jeux vidéo, télé-réalité, implants sensoriels, et j'en passe. Chaque épisode présente une situation, une réalité différente, plus ou moins éloignée de la notre, où la technologie va dérailler d'une manière ou d'une autre. On passe en revue tous les genres : enquête, épouvante, dystopie, romance, thriller... Et c'est extrêmement perspicace sur notre monde d'aujourd'hui : sur la confiance que nous accordons à des machines ou des gadgets, sur la place du virtuel dans nos vies, sur la manière dont les réseaux sociaux influent notre manière de penser.
C'est violent, brutal, perturbant aussi. Certains épisodes m'ont complètement retournée, au point de ne penser plus qu'à ça. C'est le cas de l'épisode dont je tire le gif ci-dessous, que j'appellerais "L'épisode de la télé-réalité". Si vous ne voulez pas vous lancer dans quelque chose qui pourrait vous mettre mal, sachez que la tonalité varie beaucoup d'un épisode à l'autre. Gosso modo, je dirais que les saisons 1 et 2, produites par la BBC, sont bien plus perturbantes que la troisième (et, je suppose, la quatrième, bien que je n'en aie vu qu'un épisode pour le moment). La saison 3 joue beaucoup sur la tension et l'épouvante, mais dans des codes assez habituels (course-pousuite par exemple, ou jeu vidéo d'horreur) ; alors que certains épisodes des saisons 1 et 2 ne sont pas spécialement effrayants dans l'histoire qu'ils racontent, mais le sont assurément par la manière dont ils sont racontés. Leur réalisme est tel qu'il nous fait froid dans le dos... A défaut d'être effayants, ils sont... Perturbants, et bien plus que ceux de la saison 3 Ils font écho à notre vie, transforment ce qu'on considère comme habituel, et nous restent en tête. [Mais personnellement, je préfère la saison 3, très riche en différentes tonalités, différents univers, et qui ressemble bien plus à un divertissement :3]
Je voudrais maintenant, chers amis, analyser un peu plus en profondeur l'un des épisodes. Afin que vous voyiez un peu la richesse des questions que cette série peut poser en un seul épisode. Alors, pour ceux qui n'ont pas envie de se faire spoiler, arrêtez-vous ici ; mais comme chaque histoire est indépendante, et qu'il y en a quand même pas mal, je pense que vous en raconter une n'est pas la fin du monde...
Saison 3 épisode 6 - Haine Virtuelle (Hated in the Nation)
La journaliste Jo Powers, auteure d'un article virulent contre une militante handicapée, est retrouvée morte chez elle. Sa gorge est tranchée, et la pièce montre de nombreux signes de lutte. L'agent Karin Parke doit collaborer, pour l'enquête, avec Blue Corson, ancienne spécialiste du crime informatique. L'autopsie révèle la cause de la mort : une abeille robotique, de celles qui ont envahi les champs pour poliniser les fleurs à la place des véritables abeilles de plus en plus rares, est entrée dans l'oreille de la journaliste et s'est engouffrée dans son cerveau : une torture si intense que la femme s'est débattue, a frappé les meubles et a fini par se trancher la gorge. Mais Blue persiste à croire que quelque chose cloche : elle s'intéresse aux réseaux sociaux, sur lesquels affluait une énorme quantité de haine et d'insultes envers Jo Powers, et repère notamment la récurrence du #DeathTo suivi du nom de la journaliste. Peu de temps après, on retrouve un rappeur mort de la même manière, lui aussi ayant fait l'objet d'une violente haine virtuelle après qu'il se soit moqué d'un enfant sur un plateau TV, et lui aussi cité dans le #DeathTo. Blue poursuit son enquête et découvre le vieux post d'une organisation qui prétend "Faire payer aux gens le prix de leurs actes". Chaque jour à 17h, la personne arrivée en tête du #DeathTo est tué. Le ou les tueurs piratent et détournent une des abeilles robot pour la faire attaquer la personne en question.
Les deux femmes décident alors de protéger la femme qui arrive, pour l'instant, en tête du hashtag : Clara Meades, qui a publié une photo d'elle faisant semblant d'uriner sur un mémorial. Or, la personne qui arrive seconde de ce hashtag est le Ministre de la Finance, qui s'offusque de ne pas être protégé en priorité. Les deux enquêtrices tentent de repousser les abeilles qui attaquent en masse la maison où s'est réfugiée Clara Meades, mais celle-ci est tout de même tuée. Blue comprend alors que les abeilles sont utilisées pour la reconnaissance faciale des victimes, ce qui veut dire que les drones sont utilisés par le gouvernement pour surveiller la population.
Enfin, le tueur est identifié : il s'agit de Garrett Scholes, un des développeurs de drones qui se bat contre la mise en danger de la liberté d'expression à l'ère des réseaux sociaux. Alors que l'étau de la police se resserre contre lui, Scholes prend peu à peu le contrôle de tous les drones du Royaume-Uni. On se rend compte, alors, qu'il ne vise pas réellement les victimes (responsables de bad buzz sur les réseaux sociaux), mais les bourreaux : tous ceux qui ont reposté, mis en ligne, partagé le #DeathTo ; même si la plupart ne savait pas que cette personne serait réellement mise à mort, sont attaqués par les abeilles et tués.
~ Maintenant que cela est mis en place - bien que je vous suggérerais tout de même de regarder l'épisode -, passons à son analyse, qui montre toute la richesse de cette série !
Tout d'abord, d'un point de vue purement de forme. Cet épisode, comme plusieurs autres des saisons 3 et 4, joue sur l'épouvante, et il parvient à élever la tension et à nous faire peur comme il faut, jusqu'à ce qu'on ne regarde plus les insectes pareil (Le lendemain du jour où j'ai regardé cet épisode, une abeille est entrée chez nous... ON ÉTAIT FIN NOVEMBRE o_O). Un autre aspect que j'aime bien dans cet épisode, même s'il ne devrait pas être mentionné, c'est la forte présence de femmes, dans des rôles d'importance :) Bon, dans la série en général, il doit y avoir autant de femmes que d'hommes, c'est cool. Ça paraît un peu déplacé que je le dise ici, mais j'avais quand même envie d'en parler :)
Maintenant, passons au vif du sujet : Les questions que cet épisode pose, sur la technologie et surtout sur la société.
En premier lieu, il y a les drones. Ces petites abeilles automatisées travaillent plus vite, plus longtemps que des abeilles vivantes, elles ne se fatiguent pas et peuvent être géolocalisées et contrôlées à distance. Elles viennent polliniser les fleurs, ce qui permet à la biodiversité et à toute la chaîne alimentaire malgré la quasi-disparition de cette espèce clé. Les progrès actuels tendent en effet vers l'insertion de ces petits robots, qui permettront notamment de créer volontairement des espèces hybrides (plus résistantes par exemple), ou de surveiller les véritables abeilles pour s'y adapter. (Voir articles de Février 2017 : maxisciences, Sciences et Avenir) Mais comme tous les objets automatisés et connectés, ces petits drones posent problème. Déjà pour l'utilisation qui en est faite dans l'épisode : détournées par des hacker, ces abeilles peuvent devenir tueuses. Le cas de l'abeille tueuse, qui peut paraître un peu extrême, n'est qu'un exemple d'utilisation détournée que l'on peut faire des objets connectés (et comme de plus en plus d'objets le sont, cela met notre sécurité en danger... J'en reparlerai peut-être une autre fois). Autre exemple d'utilisation "malveillante" dans l'épisode : les drones, équipés de caméra, surveillent la population en même temps qu'ils font leur travail. La vidéosurveillance est essentielle à la sécurité, mais (la question se pose déjà aujourd'hui), un abus de celle-ci peut très bien devenir un outil de contrôle de la population dans un état totalitaire, et met en question la liberté des citoyens.
En second lieu, il y a les réseaux sociaux. Cet épisode dénonce clairement ceux-ci comme un espace de déversement de haine, un tribunal arbitraire où le jugement est biaisé. Le postulat de départ - tuer ceux qui font un mauvais buzz en raison de leurs actes honteux - est déjà très intéressant : il montre les atrocités que les gens peuvent proférer dans notre société déshumanisée, derrière les barrières artificielles de la télévision ou des réseaux sociaux. On dit souvent que les gens se masquent dans l'anonymat, mais ce n'est même pas ça : le rappeur par exemple est condamné pour ses propos à la télévision, et Jo Powers comme Clara Meades assument leurs actes et les signent de leur nom. C'est plutôt que, sur les réseaux sociaux, ou à la télévision, une certaine violence est tolérée, elle ne choque pas dans ce contexte de surconsommation et de zapping.
Mais le retournement de situation est encore plus intéressant : Garrett Scholes s'attaque finalement à tous ceux qui ont partagé le hashtag #DeathTo, conduisant à mort ces auteurs de bad buzz. Ce sont eux qui légitiment ces meurtres, ces anonymes qui se noient dans la masse et qui n'ont pas conscience de la portée de leurs actes. A travers eux, on dénonce l'influence de la violence sociale, qui se propage bien plus vite sur les réseaux sociaux, et la vocation de ceux-ci à devenir un tribunal populaire et arbitraire, où l'on condamne n'importe qui pour n'importe quoi et l'on n'a plus conscience de la réalité. (L'épisode Chute Libre, premier de la Saison 3, peut s'en approcher).
Cet épisode questionne donc à la fois la technologie et la société, et c'est le cas de toute la série. :]
~ Et voilà, c'est tout ! J'aurais encore des tas de choses à vous dire, mais je ne veux pas que vous fuyiez en voyant la taille de l'article x)
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