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Des citations imprécises de Gundam, et la philosophie de la guerre
Regardez comme ils sont adorables, j'ai rarement été aussi enthousiaste pour une série que je n'ai pas vue
Très bien, il est temps de se pencher sur la plus grande licence de l'animation japonaise, premier anime moderne et lancement du studio Sunrise - j'ai nommé Gundam, bien sûr. Depuis que j'ai vu les deux premiers films de Mobile Suit Gundam il y a quelques mois, et le dernier il y a quelques semaines, je trépigne d'envie de vous parler de cette série à laquelle j'ai immédiatement sincèrement accroché, et qui est l'une de mes principales inspirations du moment.
Mais s'attaquer à Gundam c'est s'attaquer à un monstre : sans même parler des dizaines de films et de séries dérivées auxquels elle a donné lieu (Zeta Gundam, Gundam ZZ, Char contre-attaque rien que pour le premier récit ; et puis Gundam Wing, Seed, École du ciel et tous les autres), la série originale, créée par Yoshiyuki Tomino en 1979, fourmille déjà d'idées, de personnages, d'histoires parallèles qui méritent qu'on les raconte. J'aimerais vous dire à quel point les univers graphiques sont intéressants, le scénario ingénieux, le genre mecha tordu pour en faire une exploration des travers de l'humanité. Mais, d'abord, je vais me concentrer sur son aspect essentiel : la peinture de la guerre, et de sa vanité.
[Disclamer : J'ai regardé les deux premiers MSG en Janvier-Février, à une époque où l'offensive russe de 2022 en Ukraine n'avait pas encore commencé, et la guerre n'était pas omniprésente dans nos médias européens. Aujourd'hui, c'est un sujet qui peut être triggering ; ou au contraire, on pourrait s'étonner que je l'aborde avec distance, mais sachez que je ne l'oublie pas. Les fictions nous offrent une foule de réflexions sur le manichéisme et la violence de la guerre, et c'est important, mais elles sont surtout là pour nous rappeler que c'est réel.]
introduction
En l'an 0079 du Calendrier Universel, alors que l'humanité a massivement émergé sur des colonies spatiales, le Duché de Zeon, une colonie de 150 millions d'habitants, décide de déclarer son indépendance vis-à-vis de la Fédération. Une violente guerre s'ensuit dans laquelle périt la moitié de l'humanité. Puis le conflit s'enlise quelques mois, durant lesquels la Fédération développe le projet -V- : pour contrer les Mobile Suit de Zeon, ils font construire une nouvelle arme particulièrement puissante, le Mobile Suit Gundam.
A l'époque, Amuro Ray, fils de l'ingénieur en chef sur le projet -V-, vit presque seul sur Side-7 : son père est occupé dans l'armée et sa mère habite encore sur Terre. Mais le statut quo est brisé lorsque le colonel Char Aznable découvre le projet de la Fédération, et décide d'attaquer Side-7, où le Gundam est en construction. Selon les lois de la guerre, un conflit sur un terrain civil est impossible, mais il a lieu tout de même sans que tout le monde puisse s'abriter, et des dizaines d'habitants de Side-7 périssent. Amuro, qui avait quitté son abri, décide alors de ne pas rester sans rien faire : il saute dans le prototype du Gundam et, le manœuvrant comme il peut, finit par exterminer ses ennemis, et récupérer des rescapés qu'il fait monter dans le White Base, vaisseau de la Fédération. De nombreux civils sont alors engagés comme militaires, dont Amuro, qui devient pilote attitré du Gundam.
"Les temps sont durs, dites donc, quand on en vient à
recruter des enfants de 14 ans comme soldats"
Une phrase de cet ordre peut faire sourire - c'est la seule justification qu'ils ont trouvée pour avoir des ados de 14 ans comme pilotes de robots géants, se dit-on. Pas mieux que le "Vous êtes les seuls capables de vous synchroniser à l'Eva" d'Evangelion... Mais dire cela, ce serait mal comprendre l'esprit de Gundam. Oui, les temps sont durs - l'armée a perdu tellement d'hommes qu'elle est prête à recruter les premiers civils pour s'engager, risquer leurs vies aux-côtés de la Fédération. Même du côté de Zeon, les combattants sont adultes, et sont choqués de découvrir qu'en face, il y a des enfants. La série insiste largement là-dessus, notamment avec Kai, qui cherche plusieurs fois à quitter le navire. Gundam, c'est avant tout le quotidien sur un vaisseau de guerre, et l'humanité des personnages est omniprésente.
"Oui, je les ai tués. C'est la guerre, maman."
On entre dans une partie un peu plus spoiler - mais je pense que cette scène vaut le coup d'être soulevée. Dans le premier film, Amuro doit composer avec son estime de lui-même mais aussi sa haine des combats. Il est persuadé que le Gundam ne peut être piloté que par lui, il a une forme d'héroïsme latent, mais en même temps, il jure de ne plus jamais monter là-dedans (et c'est là qu'on reconnaît le parrain de Shinji...) Lorsqu'il retrouve sa mère, qui travaille dans un centre de rescapés, elle est très déçue de découvrir que son fils est soldat. Elle ne le prend pas en pitié : elle s'énerve contre lui, parce qu'il soutient la guerre, parce qu'il tue, parce que son comportement est inhumain. Amuro est bien conscient de ça : il ne la laisse pas parler et réplique immédiatement qu'il n'a pas le choix. En somme, il demande à sa mère de revenir à la réalité, parce qu'il faut bien qu'il y en aie qui combattent. Mais, même s'il réussit à lui dire ça, la remarque de sa mère le blesse profondément, il a peur qu'elle ne l'aime plus - il a peur de perdre un soutien parental qui lui manque déjà profondément. Finalement, Amuro doit réagir à une attaque : comme souvent dans les films MSG, la scène ne dure que quelques instants, mais elle suggère bien plus.
"Je le fais pour ma famille"
Dans le deuxième film, on rencontre Miharu, espionne pour le camp de Zeon. Depuis la Terre, elle informe des mouvements de la Fédération, ce qui lui permet de gagner assez d'argent pour nourrir son frère et sa sœur. On retrouvera plusieurs variantes de cette phrase à d'autres moments de l'histoire : "Je me bats par amour pour toi", "J'ai enfin trouvé quelqu'un à protéger" (reconnaissez la référence qui n'est pas Gundam...), mais aussi "J'aimais ma femme, mais j'aime aussi mon pays", ou encore "Tu te bats alors que tu n'as personne à protéger ?"... Parce qu'au fond, à quoi bon ? Peu importe le camp dans lequel on est, peu importent les gens pour qui on se bat, la guerre reste la guerre, avec sa vanité terrible - qui mène au meurtre mais aussi à la mort. Et pourtant, oui, il faut bien que cela aie un sens - il faut bien avoir des gens à protéger. Où poser la limite de nos valeurs ?
"Tu sais, eux aussi, ils nous bombardent pour avoir leur paye"
Voilà certainement ma citation préférée de Gundam. Imaginez la base de Jaburo, au fond d'une jungle, où la Fédération a rassemblé une partie de ses armées pour des tests et des entraînements. Cette base est bombardée chaque jour par le camp de Zeon, mais ce sont généralement des attaques "sans danger". Depuis une tour de contrôle, deux hommes signalent "le bombardement habituel", qui ne fait pas sourciller l'armée plus que ça. L'un demande alors à l'autre qu'est-ce qu'ils font là, bloqués au fond de cette jungle, à faire ce travail inutile. L'autre officier lui répond ceci. Finalement, dans un camp comme dans l'autre, les soldats veulent juste leur paye - non pas par sadisme, mais parce que c'est leur métier, parce que c'est ainsi que la vie fonctionne. Au milieu, comme monnaie d'échange, il y a des vies humaines.
"Regarde, voilà la guerre, mais c'est plus sale qu'à la TV"
Un grand combat du troisième film est retransmis en direct à la TV. On peut donc voir Tem Ray, Char, Lalah, et bien d'autres personnages, regarder les combats retransmis en commentant l'agilité des manœuvres, en s'énervant qu'on ne voit pas le Gundam, en criant des encouragements comme devant un match de foot. Char, qui pour une fois n'est pas au combat, glisse donc cette légère phrase qui a tellement de valeur quand on regarde un anime. Non seulement c'est un regard sur la médiatisation de la guerre (et parfois, une forme de curiosité malsaine qu'elle peut encourager - ou du moins des incompréhensions de ce qu'il se passe réellement) ; mais c'est aussi nous rappeler que, aussi acerbe qu'il soit sur la guerre, Gundam reste un anime. Evangelion le fera aussi, mais d'un point de vue plus existentiel - il rappelle aux fans de ne pas se perdre dans des mondes imaginaires, et de se tourner vers ce qu'il y a de plus important, leur santé mentale, leur vie, et les autres. Du côté de Gundam, c'est surtout une précision nécessaire à la justesse du message - l'héroïsme des mecha est paradoxal, il brode sur une réalité bien plus sordide - et surtout irreprésentable.
- Conclusion
Il est temps que je boucle cet article, alors je voudrais juste ajouter qu'il y a tant d'autres scènes ingénieuses dans l'anime : des rencontres de camps opposés, sur des terrains neutres, alors qu'ils ne se connaissent pas. L'anorexie d'Amuro et de son père, qui perdent leur intégrité sans s'en rendre compte. Et puis le plaisir que j'ai eu en général à pratiquer cette série entre science-fiction, récit du quotidien et citypop. La fin était, pour moi, assez décevante, parce qu'il y a soudain une simplification des deux camps et de leurs raisons morales, et encore plus surprenant, une armistice héroïque. Mais ce n'est pas fini, il me reste Char contre-attaque, et les autres. A très bientôt donc !
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